Migrantes chinoises, chercheuses de liberté

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Achaïra, 28 juillet 2011 Pun Ngai, Avis au consommateur. Chine : des ouvrières migrantes parlent, L’Insomniaque, 2011, 158 p., 15 euros

C’est le témoignage de quelques ouvrières du plus grand atelier du monde : les « zones économiques spéciales », dans la Chine d’aujourd’hui, là où se fabriquent nos chaussures de sport, nos téléphones mobiles et toute la camelote que l’on retrouve sur nos marchés. Les conditions de travail sont d’un autre âge, et c’est peu dire – la militarisation industrielle règne – mais pour les jeunes ouvrières venues de la campagne, contraintes dans ces workhouses à subir une surexploitation effarante, c’est encore mieux que l’assujettissement patriarcal qu’elles subissaient dans leurs familles ; c’est même un affranchissement. Libérées d’une domination, ces femmes migrantes ne sont pas toujours dociles pour autant, et certaines ont déjà commencé à se rebiffer…

1. Hui, à la recherche de la liberté, a quitté une famille extrêmement violente pour travailler en ville ; elle hurle maintenant à la fenêtre du dortoir, « comme si tout ce qui [lui] pesait sur [le] cœur s’envolait avec [son] cri ». Elle rêve et regrette pourtant son village où la vie était plus douce…

2. A-Fang, qui a pratiqué les arts martiaux, ne craint pas de changer souvent de travail ; elle a un grand souci de sa dignité, de ses droits et aussi de la force de la solidarité : « Quand on est nombreux, plus personne n’a peur », dit-elle. « La dignité, c’est plus important que l’argent. »

3. A-Chung, elle aussi aime la liberté, mais, dit-elle, « quand je rentre, je veux repartir ; quand je pars, je ne pense qu’à rentrer ; et quand je suis rentrée, j’ai encore envie de repartir. Voilà ce que je ressens. »

4. Xiao Yan a perdu la face : après avoir emprunté de grosses sommes d’argent à sa famille, elle s’est fait escroquer ; elle n’ose plus revenir au village les mains vides. Les jeunes paysannes qui témoignent ici font souvent preuve d’une très grande naïveté. « La vie ne m’a rien apporté », dit Xiao Yan.

5. Hua est également une fille désemparée qui, pour rembourser une dette de son père, a été promise dès l’enfance à un mariage arrangé. Père qui la soumet à un chantage au suicide. Elle part pourtant à la ville et s’abrutit dans un travail à la chaîne, jusqu’au jour où enfin elle décide de se prendre en main : « J’estime que notre vie nous appartient et n’a pas à être contrôlée par quiconque », dit Hua. Elle affronte alors son destin.

6. A-Hong, orpheline, a vécu une enfance malheureuse et, n’ayant plus personne au village sur qui compter, elle part. Sur le chemin de la ville, elle est kidnappée et vendue à un homme qui lui répugne mais qui deviendra son mari. Après plusieurs tentatives de suicide, elle fait trois enfants. Puis, repartie à la ville, elle se prend d’affection pour un autre homme, mais l’avenir amoureux n’est vraiment pas certain.

7. Fen n’a pas beaucoup de chance en amour. Au travail, ce n’est pas mieux. Elle réussit cependant à trouver une certaine indépendance économique en conduisant son propre taxi, mais elle se lie avec un homme marié. Tiraillée entre les reproches de sa famille et son amour contrarié, Fen est en plein mélo amoureux, très loin de la lutte de classe.

8. Tante Cui. C’est une vieille : elle a 50 ans ! Elle a connu la faim du temps du Grand Bond en avant, n’a jamais franchi le seuil de l’école et a subi un mariage arrangé à 17 ans : son mari la battait. Mais elle aussi est partie travailler en ville : elle y a acquis une certaine indépendance financière et fait maintenant l’admiration de son village ; elle en est fière.

9. A-Lan est partie d’un village de montagne pour se faire embaucher comme ouvrière dans une usine de chaussures, à seule fin, à 36 ans, de payer les études de ses deux enfants. Mais la colle qu’elle utilise dans son travail la rendra rapidement malade ; elle et ses collègues se sont empoisonnées à l’hexane, produit qui provoque des paralysies diverses. Ainsi, en Chine, les maladies professionnelles dans divers secteurs de la production sont de plus en plus graves.

10. Xiao, parce qu’elle était très jeune, trouvera un travail sous un faux nom. Comme toutes les gamines embauchées dans les « zones économiques spéciales », Xiao sera affrontée à de terribles conditions de travail et aux très nombreux accidents qui en résultent. Elle-même sera blessée…

11. A-Xiu, après avoir quitté son village, déchante vite : la réalité ne correspond pas à son rêve ; en grève sans trop l’avoir voulu, elle se retrouve à la rue « sans un rond ». Puis, après une autre embauche, suite à un accident du travail, elle perd un doigt à son grand désespoir. Pourra-t-elle encore se marier ainsi ?

12. Chunmei, elle, est morte d’épuisement au travail. C’est son père qui parle de sa fille : « La vie des ouvriers, c’est comme celle des fourmis : on peut les écraser comme on veut. » Dans le Code du travail, il n’y a pas d’article concernant le surmenage ! « Les ouvriers n’ont que leur force de travail à vendre et non leur vie », dit encore son père.

13. Qing, en participant à une grève et à des manifestations pour obtenir gain de cause, apprend que l’unité dans la lutte est d’une grande importance. Pourtant, elle regrette son village où elle pense qu’il y a quelque chose à faire pour en améliorer les conditions de vie. En quelque sorte optimiste, elle déclare : « Le chemin se fait en marchant. »

14. Zhonghong fait partie de ces « quantités négligeables » que l’on méprise parce que, venues de la campagne, elles ne parlent pas le cantonais. Cependant, elle et ses camarades osent revendiquer pour de l’eau chaude ou un téléphone à proximité du dortoir. Zhonghong voudrait écrire sur la condition des ouvrières précaires, pour qu’elles soient reconnues socialement.

15. Qiuyue a étudié à l’école le marxisme façon Mao. Devenue ouvrière, elle est bien placée pour dire : « Je considère que travailler comme migrante en Chine, c’est comme vivre dans la société capitaliste et non dans la société socialiste. » Elle lutte et constate qu’il n’y a pas d’unité chez les ouvriers, mais qu’il existe ce qu’elle nomme des « contradictions internes. »

16. Weizhen a appris à n’avoir plus peur en luttant. Par ailleurs, elle déclare : « L’injustice entraîne la révolte. » Mais Weizhen est très fatiguée et cherche de nouvelles forces pour continuer à vivre. Elle finira par retourner au village…

Tout cela se passe en Chine, pays dirigé par le Parti communiste. Nous, nous avons la chance de vivre dans une démocratie capitaliste. C’est quand même mieux, non ? Vous pourrez lire cette chronique sur le site cerclelibertaireJB33. Allez ! Et n’oubliez pas d’éteindre votre portable !

André Bernard


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