«Y a-t-il une vie avant la mort ? » C’est la question que pose, en seize dessins cocasses et percutants, le grand caricaturiste Jossot dans ce fascicule un tantinet macabre. Et force est de constater que la réponse n’allait déjà pas de soi dans la société fraîchement capitaliste de la « Belle Époque », qui n’était belle que pour les nantis.
Parue en 1904 dans l’hebdomadaire satirique L’Assiette au Beurre, cette variante moderne et facétieuse de la danse macabre confronte le lecteur à son propre néant et brocarde l’inanité de la simple survie, aussi piètre que dérisoire. Ennemi déclaré de ce qu’est devenue la société européenne, Jossot, alors au sommet de son art et de sa renommée, dote ses squelettes grotesques de gestes et de l’usage de la parole pour mieux railler l’étroitesse d’esprit et le conformisme docile des pseudo-vivants.
Ce petit chef-d’œuvre d’humour noir et de poésie absurde n’a certes rien perdu de sa pertinence, à présent que la liberté ressemble de plus en plus à un fantôme et que la joie de vivre est devenue un délit.
L’auteur
Henri Gustave Jossot (1866-1951) est né dans une famille bourgeoise, contre laquelle il s’est tôt révolté. Devenu caricaturiste et affichiste, il côtoie alors plusieurs artistes et écrivains proches de l’anarchisme. Ses dessins de presse se font plus féroces à mesure que son trait devient de plus en plus efficace et singulier, avec son cerne épais et ses aplats de couleurs. Ils prennent pour cibles l’armée, le colonialisme, le clergé, la police, la magistrature et la bourgeoisie, qu’elle soit franc-maçonne ou bondieusarde. Il n’est pas tendre non plus avec le populo moutonnier, qu’il juge inculte et abruti par le salariat, l’alcool et le conformisme moral. Il collabore fréquemment, de 1901 à 1907, à l’hebdomadaire de critique sociale à gros tirage L’Assiette au Beurre, dans les pages duquel paraissent Les Refroidis.