Ô juste, subtil et puissant venin !

Journaliste, chroniqueur (notamment gastronomique), humoriste grinçant, Julio Camba (1884-1962) compte parmi les plus importants écrivains espagnols du XXe siècle et les plus fins stylistes de la langue de Cervantes. Sa vogue a quelque peu passé en Espagne et il est resté à peu près inconnu en France, où il n’a jamais été traduit. Ce qui est dû pour partie à l’aspect hispano-hispanique de ses chroniques, et pour partie au fait qu’il ne soutint pas la république lors de la Guerre civile espagnole, et qu’il continua ensuite de faire paraître lesdites chroniques sous l’infâme régime franquiste : on peut lui reprocher ce choix, mais il ne s’est pas fourvoyé à la façon d’un Céline dans l’apologie du fascisme. Néanmoins, il avait été anarchiste dans sa jeunesse, comme tout homme de cœur en ces temps. Dès l’âge de 16 ans, ce jeune Galicien s’embarqua pour l’Argentine, où il côtoya le mouvement anarchiste local et participa en tant qu’agitateur et propagandiste à la grande grève générale de Buenos Aires en 1903 – ce qui lui valut d’être promptement expulsé.
De retour en Espagne, il collabore à la presse anarchiste locale, notamment à l’hebdomadaire Tierra y Libertad (qui devait fournir sa base idéologique à la future et puissante CNT), puis il fonde avec Antonio Apolo El Rebelde, autre brûlot libertaire hebdomadaire, plus proche des idées de Stirner, voire de Nietzche. Ce n’est qu’ensuite qu’il s’éloignera de l’anarchisme, et surtout des anarchistes (trop puritains et politiques à son goût), pour faire carrière dans la chronique journalistique et se réfugier dans un farouche et logique individualisme.
Nous avons choisi de traduire et de publier une sélection de ses textes anarchistes de jeunesse, ceux qui cadrent le mieux avec notre catalogue. La moitié du recueil est occupé par L’Exil, un récit savoureux et plein de sagesse, écrit à 18 ans avec la maîtrise d’un littérateur chevronné, qui décrit par fragments son aventure argentine. Le reste est un choix de chroniques données à Tierra y Libertad, à El Rebelde et à El País, qui procurent un aperçu de la maîtrise qu’à l’auteur de la forme brève, mais aussi de son sens de la formule et de son anticonformisme caustique.
Le recueil est préfacé par Julián Lacalle, qui a réédité avec succès en Espagne, à l’enseigne de Pepitas de Calabaza, le recueil complet des écrits anarchistes de Camba, ainsi qu’un choix de ses meilleures chroniques ultérieures.